Les images de HAME (LA RUMEUR): La Disette Du Corbeau
Après avoir publié une tribune dans Le Monde fin 2009, le rappeur Hamé de La Rumeur, a réalisé un "ciné-tract" ( un court-métrage de 3 min 50 ) intitulé La Disette Du Corbeau pour le site Mediapart. Ce travail a été réalisé dans le cadre d'un film collectif nommé Outrage & Rébellion, réunissant une quarantaine d'artistes. Un engagement de groupe contre les violences policières et le Flashball.
La Disette Du Corbeau par Hamé
L'ensemble des court-métrages Outrage & Rébellion sur Mediapart
Tribune Publiée dans Le Monde par Hamé le 14/11/09:
Etre français, c’est avoir sa vie en France, et rien de plus
Dans la prose marécageuse de l’ineffable Ministre de l’identité
nationale et de l’immigration patauge une créature aux élans de
camarde. Tous les quinze ou vingt ans, depuis les indépendances et
l’éclatement de l’empire colonial, et au gré des cycliques désastres
économiques et sociaux, elle s’extirpe de la vase pour venir se
rappeler au bon coeur du commun des Français. Plus que jamais la voilà,
armée d’un rameau de ronces au bout d’une main sèche, flagellant
“l’éparpillement identitaire” et éructant dans tout le pays des mots
vieux, épris et pétris d’haleine chauvine.
Cette créature se met à traîner dans tous les plis de nos vies et menace : ”Nous allons une bonne fois pour toutes fixer ce qu’être français veut dire.”
Lancée comme une ogive aveugle à fragmentation - qui cependant sait
parfaitement où elle doit frapper -, la grande “consultation” de l’Etat
sarkozyste sur l’"identité nationale” est partie pour n’épargner
personne.
Et désigner à la vindicte en particulier celles et ceux qui, une
fois le débat clos, une fois réaffirmées aux frontispices de la nation
les “valeurs républicaines” et la “fierté d’être français”, auront
l’insigne déshonneur d’en être jugés étrangers ou réfractaires,
incompatibles ou inaptes. Car c’est une frontière intérieure, un cordon
de salubrité identitaire, désormais labélisée avec l’assentiment de
l’opinion qui va nous être infligée de mains d’experts.
Ce n’est hélas pas faire preuve d’imagination folle que d’anticiper
l’issue du “débat”. Tant celle-ci se lit et s’entend déjà partout dans
les médias de grande audience. Il y a de très fortes chances que nous
assistions d’une part, au redéploiement d’une conception mythique,
essentialiste, ethnocentrée de ce qu’est la France - avant tout un pays
européen de race blanche, de culture gréco-latine et de tradition
chrétienne, point barre.
Et d’autre part, à la mise au ban de ce qui n’est pas et ne sera
jamais la France en des termes aussi peu neutres que rebattus. Les
bandes ethniques causent de toutes les insécurités, les familles
polygames, leur marmaille circoncise et leur barbarie importée, les
femmes qui se voilent, “s’emburqaïsent” et les hommes qui les y
obligent entre deux inaugurations de mosquées, ou encore ce rap qui
tambourine les refrains criards de “la haine de la France"…
Que sais-je encore ? Les historiens et philosophes de la cour
sauront, à n’en pas douter, enrichir cette liste de nouvelles
catégories. Le clivage aura en tous les cas la clarté de l’eau pure et
le sens de la nuance des partitions d’extrême droite : d’un côté, la
France, de l’autre, l’anti-France. Le corps sain, et l’appendice
pathogène à oblitérer. Ceux qui méritent d’aller et venir d’une part,
ceux qui doivent être frappés d’invisibilité d’autre part.
Le débat sur l’identité nationale n’en est pas un. C’est une
injonction à l’affirmation ethniciste de soi. Un blanc-seing collectif
à l’apartheid qui vient.
Etre français, c’est avoir sa vie en France et rien de plus. Cela ne
s’interroge pas, mais se constate comme un botaniste constaterait la
poussée d’un bourgeon. Ce qui devrait se questionner en revanche, et de
la plus forte des manières avant de le congédier, c’est l’identité de
ce pouvoir qui nous mène au mur, son irrépressible cynisme, sa
brutalité, sa morgue, lorsque dans les mêmes semaines, il aligne
blagues racistes, rafles et expulsions d’Afghans dont il occupe le
pays, relaxe pure et simple des policiers en cause dans la mort de
Laramy et Moushin à Villiers-le-Bel. Deux adolescents niés et
invisibles jusque dans la qualification des causes de leur mort.
C’est d’ordinaire le sacerdoce des anges et des démons que de se
mêler à la vie des hommes sans être vus. C’est la honte de cette
République que de nous offrir, à nous enfants d’immigrés, cette
affriolante perspective donc : vivre comme des démons, mourir comme des
anges. Nous ne sommes pourtant ni l’un ni l’autre.
La Rumeur et la justice "au delà de l'acharnement" par Thomas Blondeau